Adali regarda l’elfe avec des yeux ébahis. Il ne s’y était pas attendu du tout. Les non-humains étaient rares au sein de l’Inquisitorium. Markus l’observait avec des yeux rieurs, et il avait tout de suite compris la surprise d’Adali, même s’il n’en laissa rien paraître.
« Oui. Mais ce tableau n’en reste pas moins magnifique. »
L’elfe, en disant cela, se retourna vers l’œuvre. Adali alla se mettre à ses côtés, examinant lui aussi la toile. Il allait expliquer à l’elfe la raison de sa venu quand ce dernier lui adressa la parole:
« Je sais pourquoi vous êtes là. Et qui vous envoie. Cette affaire est importante pour l’ordre. Et sordide. Deux agents ne seront de trop. »
La réflexion du Primat Investigator surprit Adali. Il s’était attendu à ce que l’elfe soit au courant de sa venue, mais pas qu’il ait spécialement besoin d’aide. Il s’attendait plus à être considéré comme une sorte de bouclier humain – compte-tenu de tout ce qu’on racontait sur la façon dont le second du Primat Investigator avait dû prendre une retraite spirituelle « anticipée ».
« Primat, de quoi s’agit-il ?
_ Crimes de la pensée. Un courant subversif d’art. » L’elfe fit un geste vers le tableau.
« Cette œuvre en fait partie. Elle appartenait à une famille noble. Les De Faranal. Ils les ont acquis au marché noir. Le père était un amateur. Il était sur la liste de l’Inquisitorium depuis un bon moment. »
Adali nota l’utilisation du passé. Le père au moins avait probablement été tué, lors d’une intervention. Il examina le tableau de plus près. Bien qu’il soit étrange, il ne lui paru pas être spécialement subversif.
« Primat, comment savez-vous que l’œuvre est compromise?
_ Pour des yeux non entraînés, ce tableau ne représente rien de spécial. Mais avec la formation artistique nécessaire, on peut en décoder les messages. Heureusement, cette pratique n’est pas récente, et j’ai déjà dû résoudre une affaire similaire il y a plus de trois cent ans. » Markus aborda un large sourire.
« Que j’aime l’art subversif. »
Adali ne dit rien. Il jeta un regard interrogateur à l’elfe. Mais il réexamina la toile.
« Les codes de cette toile suggèrent que l’ascension divine est accessible à l’homme. Il suffit juste de rejeter les enseignements de Dieu, qui ne sont que des illusions. Voyez comment les enfants montent les marches: ils cherchent à atteindre le ciel, le divin. Mais, puisque l’escalier est infini, ils ne le peuvent pas. Une fois que les enfants se rendront compte de l’illusion d’optique, alors ils pourront en atteindre le sommet. Les couleurs utilisées suggèrent d’avantage, mais j’en ai déjà beaucoup dit. »
Le Lieutenant-Chasseur hocha la tête d’un air pensif.
« Mais qui peint ces toiles? »
Au fond de lui, il connaissait la réponse à cette question. Mais il voulait en être sûr. Markus Elwanil lui sourit:
« Un elfe, bien sûr. »
***
La nuit venait de tomber. L’atelier n’était éclairé que par des bougies, réparties un peu partout dans la pièce. Pensif, l’artiste regardait son nouveau tableau, une main sur son menton.
« C’est magnifique », pensa-t-il. « J’y ai vraiment mis du cœur cette fois-ci. »
Il sourit à la vu du tableau. C’était certainement sa pièce maîtresse, qu’il s’agisse du message ou de la beauté de l’œuvre. Et, même dans la semi-pénombre de l’atelier, elle semblait resplendir, briller, comme une balise dans le noir.
Sur la toile, le Primat Markus Elwanil se tenait, fièrement, représenté fidèlement, dans sa tenue d’Investigator.