Le docteur Kylej regarda autour de lui. Il vit les soldats, souriants, triomphants, car ils savaient qu’après de longues semaines ils avaient finalement attrapé leur proie. L’heure était arrivée.

Joseya, la petite fille qu’il avait à ses côtés, regardait ses pieds, ne disant rien, serrant très fort la main du docteur. Ce dernier eut un air triste en voyant les hommes se rapprocher peu à peu, précautionneusement.

Leur chef, le bailli Ramnafen, avait participé activement à l’affaire depuis plusieurs semaines maintenant. Il était content de savoir qu’elle allait enfin être terminée. Il dévisagea le docteur, et déclara d’une voix basse:

« C’est fini. La chasse est terminée. Rendez-vous, docteur.
_ Vous ne comprenez pas… Ce n’est pas moi dont il s’agit… » S’exclama Kylej en réponse.
« Lâchez cet enfant, et laissez moi vous emmener devant mon maître. Il vous jugera pour vos crimes, et décidera lui-même de la sentence. »

Au total, trois massacres avaient eu lieu. Le premier, dans la villa même du docteur, était le plus sanglant des trois. Tous ses patients avaient été eviscérés. Le second s’était déroulé dans une église: le prêtre n’avait pas survécu. Et le troisième, dans une auberge assez éloignée, en bordure des terres. Le docteur s’était caché pendant un temps, mais finalement une cartomancienne avait été capable de retrouver sa piste.

Le docteur jeta un regard effrayé à l’enfant, et il hésita, avant de finalement lui lâcher la main. Il se mit à parler:
« Laissez-moi une chance de vous exp… »
Son souffle fut coupé court: un des soldats l’avait attrapé de dos, dans un geste fulgurant, et ce devait être une sorte de signal silencieux, car dans un bond les autres se jetèrent sur lui. Ils le passèrent à tabac.

Ses petites lunettes rondes se cassèrent au premier choc. Sa blouse blanche fut déchirée et arrachée. Sa montre à gousset se fracassa sur le sol. Sa petite barbe grise, impeccablement taillée, fut aspergée par le sang de sa lèvre éclatée. Ses articulations lui firent se tordre de douleur, tandis qu’il se recroquevillait sous les attaques incessantes, plaqué contre les pavés froids de la rue.

Après un certain temps, les soldats s’arrêtèrent et le redressèrent: le regard fuyant, le docteur semblait vaincu. Pourtant, Ramnafen le regarda attentivement: quelque chose clochait, il en était sur. Il jeta un coup d’œil rapide à la petite fille, elle était là, toujours traumatisée, regardant le sol, gardée par l’un des soldats, qui avait une main sur son épaule.

« C’est très dangereux… Vous devriez-vous arrêter… » Quand le docteur parla, d’autres douleurs se réveillèrent en lui.
« Docteur, vous allez maintenant m’accompagner. Nous ferons en sorte que vous soyez en état pour recevoir votre jugement.
_ Non… Vous ne comprenez pas… C’est vous qui êtes… en danger… »
L’un des soldats le frappa violemment au visage.
« Ta gueule! Chien! »

Le bailli le regarda. Et il comprit.
« Soldat! Arrêtez! »
Mais c’était trop tard. Il se tourna vers la petite fille. Elle avait redressé la tête. Ses yeux étaient entièrement noir.

Son visage était inexpressif. Il remarqua que le soldat ne la tenait plus. Il avait disparu. Soudain, la nuit sembla encore plus obscure. Ses autres hommes n’avaient pas remarqué l’enfant, et ils le regardaient d’un air confus.

Il y eut un violent choc: Ramnafen fut projeté sur le sol. Quand il redressa la tête, il vit le docteur qui s’époumonait:
« Fuyez! Fuyez vite! »

L’enfant avait maintenant de grandes ailes d’ébène. Elle volait devait lui, protectrice. Sa peau était laiteuse, et elle semblait presque luire. Elle était entourée par une espèce de bourrasques de plumes noires. Et d’un coup, la bourrasque éclata, et des plumes furent projetées dans toutes les directions. Comme des projectiles, elles frappèrent les soldats qui furent déchiquetés sur place. Aucun n’eut le temps de s’enfuir.

« Bailli! Je suis désolé! Joseya, je vais te soigner, je te le jure, mais tu dois te calmer… »

Tel un spectre vengeur, la petite fille se rapprocha, en flottant, du bailli. Ce dernier, saisit par la peur, ne bougeait pas. Il ressentit une douleur folle, et vit que son sang commençait à traverser sa peau, comme si elle l’en drainait. Sa vision se brouilla.

***

Le sénéchal arriva finalement sur place. Il descendit du cheval, et vit la scène de carnage. Il regarda les corps déchiquetés, et vidés de leur sang. Encore un coup du docteur. Quel monstre!



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