Le dormeur Duvel

 C'est un trou de levure où coule la bière,
Goutant follement aux tâches des haillons,
Dégeulasses, où le soleil, de la gare fière,
Luit: c'est un petit gars qui mousse, le pochtron.

Un ivrogne jeune, bouche ouverte, tête décapsulée, nue,
Et la nuque baignant dans le frais vomi bleu,
Dort, il est étendu sur le trottoir, dans la rue,
Pâle dans son lit vert où la bière coule.

Les pieds dans les cadavres, il dort,
Souriant comme sourirait un enfant malade, il cuve un somme,
Levure, berce-le chaudement, il a froid.

Les odeurs ne font pas frissonner sa narine,
Il dort dans la décharge, la main sur sa poitrine,
Tranquille. Il a deux Duvel rouges au côté droit.

Le tyran sans âge

Au cœur de la dense forêt, 
Il siège depuis des années,
Immense, comme une montagne,
Sa large silhouette assombrit l'horizon.

Partout on ressent sa présence,
Épié par ses feuilles, suivi par ses racines,
L'arbre aux cent milles feuilles guette,
Il domine encore et toujours les saisons.

Égoïste et fier, il hait tout ce qui est autre,
Avec ses branchages, il cache le soleil,
Personne ne peut le long de son tronc reposer,
Car il verrait cela comme une trahison.

Cette muraille à l'écorce impénétrable,
Commande à ses serviteurs animaux,
Ordonne au chêne, au frêne, au hêtre,
Et tous de peur subissent sa domination.

Alors si un jour en forêt vous allez,
Prenez garde au vénérable tyran,
Prenez garde à son végétal armement,
Car il est ici roi, plus que de raison.